justice globale


A l'occasion de la conférence de l'OMC à Seattle, le journal quotidien La Libération a posé cette question pertinente : " La mondialisation met-elle en danger les ressources naturelles et l'environnement ? "

Oui : Susan George, écrivain franco-américaine, présidente de l'Observatoire de la mondialisation et vice-présidente d'ATTAC, affirme que l'OMC a toujours écarté les considérations environnementales.
Non : Olivier Godard, économiste, directeur de recherche au CNRS, spécialiste des questions d'environnement, répond que écologie et industrie ne sont pas forcément incompatibles.

Articles extraits de La Libération, édition du 27 et 28 novembre 1999.


" La mondialisation met-elle en danger les ressources naturelles et l'environnement ? "

OUI, répond Susan George,
l'OMC a toujours écarté les considérations environnementales

" Chaque fois que l'ORD, l'organisme de règlements des différends interne à l'OMC, a eu à trancher un litige comportant un aspect touchant à l'environnement, il a toujours écarté la moindre considération écologique. Les exemples désastreux sont légion. Prenez le cas des tortues de mer, une espèce en danger protégée par une convention internationale. Un certain type de pêche à la crevette ravage les populations de tortues, mais, pour l'OMC, une crevette est une crevette, donc un produit, quelles que soient les méthodes de pêche qui l'ont amenée dans sa boîte ou sur la table.
Autre cas : une certaine pêche industrielle au thon endommage les populations de dauphins, parce que les thons nagent plus profond. L'OMC a décidé que, tant qu'il n'y a pas de viande de dauphin dans les boîtes de thon, on n'a pas à refuser le produit au motif de son mode de récolte.
Dans la pratique, les règles du commerce mondial encouragent les pays à ne pas tenir compte des coûts environnementaux.
Que le " Round du millénaire " inscrive ou non des questions spécifiquement " environnement " à son ordre du jour n'a strictement aucun intérêt. Car d'autres questions ne relevant pas officiellement de cette rubrique, mais potentiellement très dangereuses, seront à l'étude à Seattle. Sur huit sujets divers - les pierres précieuses, les jouets, les matériels médicaux, mais aussi les produits d'origine forestière ou la pêche -, les Etats-Unis proposent la "libéralisation accélérée des tarifs douaniers". Les pays importateurs ne pourraient plus du tout taxer le papier, le bois, ni les produits de la mer. Il est clair que les industriels de ces secteurs veulent pouvoir vendre davantage.
Les spécialistes de l'environnement ont calculé que cette mesure, si elle est appliquée, accélérerait d'au moins d'au moins 4% par an la destruction des forêts. Je ne connais pas précisément l'impact sur les ressources halieutiques, mais cela ne contribuerait sûrement pas à améliorer leur renouvellement. Comment ne pas signaler que Mme Barshefsky, négociatrice à Seattle pour les Etats-Unis, était auparavant l'avocate lobbyiste des industries canadiennes du bois et du papier!
L'agriculture constitue un autre grand problème de la mondialisation des échanges. Il y a les pays qui considèrent qu'un quintal de blé est un quintal de blé, qu'il n'y a pas à s'occuper d'autre chose, surtout pas de la façon de ce blé est produit. Et d'autres, comme les Etats de l'Union européenne, qui défendent la multifonctionnalité: l'agriculture n'a pas pour seule finalité de produire des aliments, mais aussi de conserver l'environnement en état, d'animer la vie rurale, de protéger les espèces. La bagarre promet d'être immense, les enjeux pour l'environnement sont formidables.
Où que vous regardiez dans ces débats sur le libre-échange et la mondialisation du commerce, vous trouvez des enjeux environnementaux. Il faut rester vigilant, car l'économie de marché à l'échelle mondiale aura du mal à déboucher sur autre chose que sur l'anéantissement, à tout le moins la mise en danger des équilibres naturels. S'il n'a pas de frein, le marché est obligé d'accélérer en permanence. Dans une certaine mesure, c'est comme un cancer qui doit envahir toujours d'autres cellules, sinon il meurt.
Qu'on ne s'y trompe pas: on ne peut pas être contre les échanges économiques. Personnellement, je ne veux pas d'un système d'échanges sans règle, je ne veux pas revenir à l'anarchie des années 30, au protectionnisme. Il s'agit simplement d'instaurer des règles fondées sur des principes différents de ceux d'aujourd'hui, susceptibles d'encourager les pays essayant d'améliorer les conditions de travail et de faire progresser les mesures en faveur de l'environnement. "
Recueilli par HÉLÈNE CRIÉ

retour haut de page


" La mondialisation met-elle en danger les ressources naturelles et l'environnement ? "

NON, répond Olivier Godard,
écologie et industrie ne sont pas forcément incompatibles

" L'échange commercial, par lui-même, n'altérerait pas l'environnement dans une économie bien organisée et bien régulée. Pour comprendre cela, il faut en revenir aux éléments fondamentaux: quand les pays procèdent à un échange, il y a gain mutuel. A une condition: que tous les coûts - dont les coûts environnementaux - soient correctement comptabilisés par toutes les parties à l'échange. Non que tous les pays doivent avoir les mêmes exigences environnementales, car les priorités peuvent légitimement différer d'un pays à l'autre, en fonction des besoins, des coûts et des possibilités technologiques. Mais tous les pays devraient avoir des dispositifs de protection de l'environnement qui correspondent aux besoins et aux préférences de leurs populations. Lorsque les gouvernements s'écartent de cette règle, par exemple en ne faisant pas appliquer une réglementation existante, ils font du " dumping écologique ", qui abaisse artificiellement leurs coûts et favorise leurs exportations. A ce moment-là, les échanges sont faussés et ne vont plus dans le sens du bien-être collectif.
Jusqu'à présent, le GATT puis l'OMC n'avaient pas vocation à s'occuper de ces questions et se préoccupaient davantage des éventuelles barrières aux échanges soupçonnées derrière les réglementations environnementales de certains pays. Les distorsions économiques dues au fait que certains pays n'internalisaient pas leurs coûts environnementaux étaient ignorées. Mais cette attitude n'est plus possible face à des questions d'envergure planétaire comme l'effet de serre ou la biodiversité. Car là, ce qui est en jeu, ce n'est pas seulement la qualité de milieux naturels locaux, c'est l'état de la planète tout entière. Pour la biodiversité et le commerce des ressources génétiques, le débat est complexe: d'un côté, les enjeux de sécurité alimentaire et d'équité Nord-Sud sont centraux, les ressources génétiques sont plutôt au Sud, et les moyens pour les exploiter, au Nord; de l'autre côté, le problème posé est d'abord celui de l'impact environnemental des biotechnologies, encore mal cerné, plus que celui de leur commerce.
Aujourd'hui, la compatibilité entre commerce et environnement est suspendue en particulier à deux problèmes non résolus. Qui dit commerce de marchandises dit transports. En dépit d'une fiscalité parfois élevée, les transports font partie de ces activités qui ne paient pas encore leurs coûts externes d'environnement (bruit, pollution de l'air, contribution à l'effet de serre). Donc, plus on développe les échanges, sur la base d'une sous tarification des transports, plus on favorise artificiellement les transports entre des localisations éloignées, plus on accroît les impacts sur l'environnement. Or, encore à Bonn il y a un mois, lors des dernières négociations sur la convention sur le climat, le lobby du transport aérien a obtenu que cette activité reste en dehors des politiques de réduction de gaz à effet de serre. Sans aucune justification économique! Il faut savoir ce que l'on veut: si l'on est vraiment partisan d'un libre-échange au service du bien-être économique, il doit s'accompagner de dispositifs environnementaux sérieux. C'est techniquement possible, mais ça bloque au niveau politique.
Enfin, il y a une nouvelle demande sociale concernant la qualité des produits échangés, avec, d'une part, une grande sensibilité aux risques pour la santé et, d'autre part, un intérêt croissant pour les conditions écologiques et sociales de production. Cette demande implique un renouvellement des règles commerciales, qui devront prévoir d'accompagner les échanges d'une information précise sur la filière en amont, donc de dispositifs de garantie et de traçabilité pas simples à mettre en place. Et peut conduire à remettre en cause l'organisation des filières en amont ou le dimensionnement des échanges.
Les règles actuelles d'organisation des échanges commerciaux sont loin d'assurer la compatibilité avec la protection de l'environnement. Mais cet état de fait n'est pas inéluctable. Raison de plus pour aller à Seattle, si c'est avec l'intention d'ouvrir enfin la négociation sur les règles communes dont on a besoin pour encadrer, et non pas freiner, la mondialisation. "
Recueilli par HÉLÈNE CRIÉ

retour haut de page